Philippe Étienne : "C'est l'Iran et les États-Unis qui ont échoué, pas les Européens"
Alors que l’escalade militaire se poursuit entre Israël et l'Iran, nous recevons l’ambassadeur de France Philippe Étienne qui a été en poste à Washington, Moscou, Berlin et auprès de l'UE. Israël a frappé l'Iran afin d’éradiquer le programme nucléaire du pays qui représente une menace pour sa survie, selon le gouvernement israélien. De nombreux hauts gradés iraniens ont été également tués dans ces premières attaques. Depuis, les bombardements israéliens se poursuivent, tout comme les tirs de réplique de l’Iran. Philippe Étienne souligne la dangerosité de l’Iran qui représente une "menace pour l'environnement régional, notamment pour Israël" et "même en balistique, une menace pour l'Europe". Il rappelle que si "les Européens ont toujours été très fermes, notamment la France" face à l’Iran, ils sont également "à l'origine du traitement diplomatique" du nucléaire iranien sous l’impulsion du groupe E3 (Allemagne, France et Royaume-Uni) dès le début des années 2000. L’ambassadeur estime que les Européens ne sont pas à blâmer après l’échec de la voie diplomatique. "Ce n'est pas nous qui avons échoué, c'est l'Iran et aussi les États-Unis qui sont sortis de l’accord", affirme-t-il. Lors du premier mandat de Donald Trump, les États-Unis s’étaient retirés de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, concrétisant ainsi une promesse de campagne du président américain. "Un kaléidoscope de positions" sur la question de Palestine Israël poursuit également ses frappes sur Gaza, qui auraient fait des dizaines de victimes cette semaine, selon la Défense civile, notamment lors de distributions d’aide alimentaire. Philippe Étienne "croi(t) que l'Union européenne, face à ce qui se passe à Gaza, doit regarder en quoi elle peut participer à un effort pour que l'aide humanitaire reprenne". Il reconnait toutefois qu’"il n'y a pas forcément d'unité sur cette question des relations avec Israël". "La question palestinienne au sein de l'Union européenne, c'est un des sujets où nous avons, au sein de l'Union européenne, le plus de mal en raison des sensibilités historiques, géopolitiques, ça se comprend", remarque-t-il, avec des pays membres qui adoptent une position de fort soutien à Israël comme l’Allemagne et d’autres qui ont déjà reconnu l’État de Palestine, comme l’Irlande et l’Espagne. Philippe Étienne constate que "nous avons un kaléidoscope de positions sur ce sujet et il faut vraiment travailler à trouver une ligne commune et surtout une action commune". Moscou qui n’avait déjà pas réussi à éviter l’effondrement du régime de Bachar al-Assad en Syrie, échoue une nouvelle fois à soutenir un de ses alliés, l’Iran, dans le conflit qui l’oppose à Israël. "C’est un affaiblissement incontestablement de la Russie dans cette grande région stratégique", estime Philippe Étienne, qui y voit un recentrage des priorités de Vladimir Poutine. Un désengagement américain en Ukraine ? "L'essentiel aujourd'hui et toutes ses forces sont concentrées sur cet essentiel, c'est l'Ukraine", estime-t-il. Le président russe profite du fait que l’attention des Occidentaux se tourne vers le Moyen-Orient "donc, il faut convaincre cette administration américaine de maintenir malgré tout, sur certains plans, une attitude qui nous aide, nous les Européens, à soutenir l'Ukraine, qu'il s'agisse de soutien financier, mais surtout de soutien militaire, de soutien en équipement militaire, de force de réassurance comme la coalition des volontaires européens y travaille". Les Européens augmentent leur soutien à l’Ukraine pour pallier le désengagement de Washington et "peuvent dans une certaine mesure, se substituer aux Américains", selon Philippe Étienne. Cependant, en termes de capacité de production d’armes, "nous sommes dans une phase de transition qui va d'ailleurs, dans un terme plus ou moins rapproché, permettre à l'Europe, dans les cas comme celui de l'Ukraine aujourd'hui, d'être plus autonome mais ça, ça ne va pas se passer du jour au lendemain". Construction d'une "fusée de la défense européenne" La Commission européenne vient de présenter son cinquième paquet Omnibus de simplification et consacre celui-ci spécifiquement à la défense européenne. Il permettrait de mobiliser près de 650 milliards d’euros, en autorisant les pays membres à augmenter leurs dépenses de défense sans déclencher de procédure de déficit excessif. La Commission va également mettre 150 milliards à disposition des États membres sous forme de prêts pour investir dans leur défense, avec des conditions limitant l’achat d’armements extérieurs à l'UE, à ses partenaires européens (pays de l'EEE-AELE) et à l'Ukraine. Philippe Étienne se déclare en faveur de cette règle car "il faut une préférence européenne, parce que sinon l'industrie européenne ne va pas réussir à se développer quand les Européens sont capables de produire à coût raisonnable des matériels". "C'est cela qu'il faut que les armées européennes achètent", ajoute-t-il. La guerre en Ukraine et le soutien militaire des Européens à Kiev "est le premier étage de cette fusée de la défense européenne qu'on construit" mais "il y a des capacités militaires qui manquent aux armées européennes et qui sont produites par les Américains". La guerre commerciale entre l’UE et les États-Unis est l’autre dossier qui inquiète Bruxelles. Donald Trump avait reporté au 9 juillet l’entrée en vigueur de droits de douane massifs sur les produits européens. Alors que cette date butoir approche, les négociations se poursuivent. Pour l’ambassadeur, "si les États-Unis ne veulent pas négocier sur des bases raisonnables où chacun s'y retrouve, à ce moment-là, l'Union européenne, comme elle l'a annoncé, sera effectivement obligée de prendre des contre-mesures". "Comme cet accord est compliqué, il faut peut-être se donner du temps, mais après, c'est une responsabilité de ceux qui ont commencé ce conflit commercial, c'est-à-dire Washington", pointe-t-il. Emission préparée par Isabelle Romero, Agnès Le Cossec, Luke Brown et Perrine Desplats