Pologne: les associations tentent d'aider les réfugiées ukrainiennes violées à avorter
En Pologne, les associations se mobilisent pour aider les réfugiées ukrainiennes à accéder à l’avortement dans un pays où la loi est l’une des plus restrictives d’Europe. Une loi durcie à l’automne 2020 par le Tribunal constitutionnel, contrôlé par le parti national-conservateur au pouvoir. Seule solution donc pour ces réfugiées, dont certaines sont tombées enceintes après avoir été violées en Ukraine : se tourner vers les ONG qui ont reçu de nombreux appels à l’aide.
Quelques jours après le début de la guerre, les premiers appels de réfugiées ukrainiennes commencent à arriver sur la ligne d’écoute du collectif Abortion Without Borders (AWB). « La plupart de ces Ukrainiennes étaient enceintes depuis plusieurs semaines et avaient décidé de mettre fin à leur grossesse, car elles avaient peur de leur situation et du futur incertain à cause de la guerre », se souvient Justyna Wydrzyńska, de l’association Abortion Dream Team, membre du collectif. « Ce sont quelques semaines plus tard que nous avons commencé à entendre des récits de grossesse à la suite d’un viol », note la militante, qui précise ne jamais demander les motifs poussant les femmes à avorter.
Depuis le 1er mars et jusqu’au 15 mai, près de 400 réfugiées ukrainiennes ont contacté le collectif AWB. Ces femmes ayant trouvé refuge en Pologne se retrouvent confrontées à une législation très sévère quant à l’accès à l’avortement. « Honnêtement, je ne peux pas imaginer ce que vivent ces femmes, qui ont fui la guerre, ont subi un viol, ont perdu peut-être des proches, leurs biens... et qui arrivent dans un pays très difficile pour les droits des femmes, et où l’avortement en cas de viol est possible sur le papier, mais en réalité est impossible à obtenir », se désole Antonina Lewandowska, de la Fondation pour les femmes et le planning familial (Federa). La militante, dont l’organisation a lancé une ligne téléphonique d’assistance en embauchant une gynécologue ukrainienne, raconte qu’une de ses collègues en Ukraine lui a confié « qu’un groupe de femmes à Kiev ayant été violées n’ont pas voulu venir en Pologne, car elles ont eu très peur de ne pas pouvoir avorter ici et de devoir continuer la grossesse jusqu’à son terme ».
« Vous devez prouver que vous avez été violée »
Car depuis le durcissement à l’automne 2020 du droit à l’avortement par le Tribunal Constitutionnel, sous le contrôle du parti national-conservateur Droit et justice au pouvoir, l’avortement reste théoriquement légal dans deux cas : si la vie ou la santé de la mère est en danger et si la grossesse résulte d’un acte criminel (viol ou inceste). Sauf que dans les faits, avorter à la suite d’un viol est presque impossible. « Vous devez démontrer à un procureur que cela est arrivé, et pour cela, aller au commissariat pour signaler le viol, afin que la police prélève des preuves et vous interroge à plusieurs reprises sur ce qu’il s’est passé », énumère Justyna Wydrzyńska. C’est seulement avec un certificat remis par un procureur que l’avortement est possible. « Même les Polonaises ne suivent pas cette voie, car ce processus est vraiment horrible, vous devez prouver que vous avez été violée », assène la militante : « surtout que pour les réfugiées ukrainiennes, le viol s’est passé en Ukraine, donc c’est impossible à prouver ».
Selon les ONG interrogées, aucune femme ukrainienne ayant été violée en Ukraine n’a pu avoir accès à un avortement en Pologne pour ce motif. Et ce, malgré les appels des eurodéputés, du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ainsi que de certains députés polonais. Anita Kucharska-Dziedzic, députée de l’opposition de gauche, a déposé un amendement (rejeté à la Chambre basse du Parlement) afin de contraindre les procureurs à rendre leur décision dans un délai de 7 jours. « En effet, le procureur n’a pas de date butoire pour donner sa décision administrative qui permet l'IVG, il peut prolonger sa décision jusqu’à ce qu'il soit trop tard pour faire un avortement », explique la Polonaise, également présidente de l’association pour les femmes BABA. Or en Pologne, l’avortement en cas de viol n’est possible que jusqu’à la 12e semaine. En 2020, sur 1076 avortements légaux dans le pays, seulement deux ont été réalisés pour mettre fin à une grossesse qui résultait d’un acte criminel.
Jusqu’à trois ans de prison pour toute aide à l'avortement
Pour ces femmes ukrainiennes souhaitant avorter, les ONG donnent donc les mêmes conseils et recommandations que pour les femmes polonaises. La majorité des réfugiées ayant contacté le collectif Abortion Without Borders ont commandé des pilules abortives en ligne, tandis que certaines d’entre elles se sont rendues dans des cliniques à l’étranger pour être prise en charge, lorsque la grossesse était trop avancée. « Les pilules abortives sont déjà connues des Ukrainiennes, donc la question qu’elles nous posent au téléphone, c’est “Pouvez-vous me dire où m’en procurer ?” », relate Justyna Wydrzyńska qui confie que, lors de ces appels souvent très courts, ces femmes sont assez surprises de ne pas pouvoir les acheter dans les pharmacies ou s’en procurer chez le médecin. « Pour elles, il est assez surprenant de ne pas pouvoir parler ouvertement de l’avortement au sein du système de santé », remarque la militante.
Lorsque ce sont des Polonais, hébergeant ou aidant des femmes ukrainiennes, qui appellent, Justyna Wydrzyńska les met en garde. Car si, en Pologne, une femme a le droit d’avorter seule jusqu’à la 12e semaine sans risquer de poursuites judiciaires, toute personne qui l’aide encourt jusqu’à trois ans de prison. Et Justyna Wydrzyńska sait de quoi elle parle : elle est elle-même poursuivie en justice pour avoir fourni des pilules abortives à une jeune femme souhaitant avorter. Un procès qui témoigne de la pression exercée sur les militantes pro-choix en Pologne et du caractère sensible de cette question.
Une influente organisation ultraconservatrice, Ordo Iuris, a d’ailleurs contacté récemment 370 hôpitaux publics du pays pour contrôler si des réfugiées ukrainiennes avaient eu accès à l’avortement et si l’hôpital avait bien vérifié que ces femmes avaient réellement été violées. « Bien que certaines femmes ukrainiennes aient été victimes d’un viol, ce qui est bien sur une tragédie et demande de la compassion, je suis aussi convaincue qu’il y a beaucoup de femmes qui ont fui l’Ukraine et qui veulent simplement avorter », a réagi Katarzyna Gęsiak, directrice du Centre de droit médical et de bioéthique d’Ordo Iuris dans un article de Wirtualna Polska.
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