«Sorginak»: à la redécouverte des sorcières du Pays Basque
Entre le sud-ouest de la France et le nord de l’Espagne, s’est jouée au XVIIè siècle une chasse aux sorcières éclair, qui va marquer les esprits. Et aujourd’hui, le Pays Basque revendique la mémoire de ses « Sorginak », loin des clichés folkloriques. Tremblez, les sorcières sont de retour !
Pendant près de 300 ans, en Europe et ailleurs dans le monde, des hommes, la raison dans une main et la croix dans l’autre, ont mené dès le XVè siècle une inlassable chasse aux sorcières, imaginant des simulacres de procès, des tortures indicibles et des meurtres de masse s'abattant surtout sur les femmes. Au XVIIè siècle, au Pays Basque, alors que les hommes étaient partis pêcher au large des côtes canadiennes, on a raconté que des messes noires se tenaient en forêt, dans des grottes, au sommet de la Rhune, dans la montagne Jaizkibel ou sur les plages d’Hendaye. Et sous le règne d’Henri IV, d’importants procès en sorcellerie ont eu lieu dans la région, en particulier en 1609.
Cette date reste gravée dans la mémoire des Basques, comme elle l’est dans les monuments qui rendent hommage aux victimes de ces procès. Et de part et d’autre de la frontière, en Espagne et en France, des guides culturels, des historiens locaux et des musées s’attachent à rappeler le contexte qui a présidé à ces expéditions meurtrières, visant des femmes trop affranchies mais aussi une région et une culture basque trop rebelle à l’ordre établi et au pouvoir royal.
Plus largement, ce pan de l’histoire, jadis méconnu voire méprisé, est désormais largement appréhendé et déconstruit dans une lecture de genre salutaire. Et en Europe, souffle enfin un vent de justice et de réhabilitation de ces femmes accusées à tort d’être maléfiques dans une fabrique du mal et de la domination à peine croyable. La figure de la sorcière, édentée et au nez crochu, est alors devenue en Occident une icône féministe. Parce qu’elle dit beaucoup du sort réservé aux femmes à travers les siècles et de notre rapport au monde invisible et païen. Et c’est ce que l’on découvre au Pays Basque, en suivant le sillage de la « Sorgin »…
Un reportage d’Inès Edel Garcia, initialement diffusé le 12 juin 2022.
À découvrir :
- Le musée des sorcières à Zugarramurdi a ouvert en 2007 dans un ancien hôpital. Au premier étage, on découvre comment le mythe de la sorcière est né. On y présente les 33 personnes originaires de la vallée, accusées de sorcellerie et condamnées au procès de Logroño organisé par l'Inquisition espagnole en 1610. Le deuxième étage est consacré à la mythologie basque, aux rites et à la figure de l'herboriste.
- À Saint-Pée-sur-Nivelle, sur la place rebaptisée «Place 1609» par l’association Lapurdi 1609, la sculpture Oroit Mina (En souvenir de la douleur) de Nestor Basterretxa a été érigée en 2009 à l’occasion des commémorations des 400 ans des procès du Labourd. Derrière, on devine le château de Saint-Pée-sur-Nivelle aujourd’hui en ruines. C’est là que s’était établi le tribunal laïc du juge Pierre de Lancre.
- Depuis 2020, le guide Julien Gaüzère propose la Marche des sorcières, une randonnée transfrontalière de 8 km (3h30) au départ des grottes de Sare. La balade s’achève dans le village de Zugarramurdi avec la visite de la grotte. Aujourd’hui, c'est un site touristique payant, mais jusqu’au début des années 2000, la grotte accueillait chaque été une importante Fête des sorcières qui réunissait 15 000 personnes environ.
- La Sorgin Gaua (Nuit de la sorcière) est organisée chaque année à Ciboure par l’association Donibane Ziburuko Ihauteriak. Au programme : défilé en habits traditionnels au rythme des cloches et danse autour du feu en mémoire des akelarre.
- Le projet «Sourcière» du duo d’artistes -Y-est né en 2019. Pendant deux ans de résidence artistique au sein de la structure COOP, les artistes plasticiennes Julie Laymond et Ilazki de Portuondo ont mené une enquête sur l’empreinte de la magie sur le territoire basque en partant sur les traces d’Inessa de Gaxen, une femme condamnée à l'exil après le procès de Logroño. Ce travail a donné lieu à une première exposition à Orthez en septembre 2021.
À lire :
Sur les chasses aux sorcières et la figure de la sorcière dans le monde :
- Silvia Federici, Caliban et la sorcière, Éditions Entremonde et Senonevero, 2014
- Mona Chollet, Sorcières, la puissance invaincue des femmes, Éditions La Découverte, Zones, 2018
- Céline Du Chéné, Les Sorcières - Une histoire de femmes, Éditions Michel Lafon, 2019
- Catherine Clément, Le musée des sorcières, Éditions Albin Michel, 2020.
Sur les chasses aux sorcières et la mythologie au Pays Basque :
- Jacques Ospital, La chasse aux sorcières au Pays Basque en 1609, Éditions Piperrak-Pimientos, 2009
- Claude Labat, Sorcellerie ? : ce que cache la fumée des bûchers de 1609, Elkar Éditions, 2009
- José Miguel Barandiaran Ayerbe, Brujería y brujas. Testimonios recogidos en el País Vasco, Txertoa, 2008
- Toti Martínez de Lezea, Leyendas de Euskal Herria, Erein, 2004.